comment la réforme constitutionnelle va renforcer le pouvoir du Parlement

_Le 25 mars 2024, le Togo a adopté une nouvelle Constitution qui transforme son système présidentiel en régime parlementaire. Le parlement aura désormais le pouvoir d’élire le président de la République.

_Cette évolution majeure permettra probablement au président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, de prolonger son règne de 19 ans d’une année et d’un mandat de plus. Cette réforme, adoptée en première lecture par les députés, n’est pas du goût de l’opposition qui parle de “coup d’Etat constitutionnel”. La loi a été envoyée à l’Assemblée nationale pour seconde lecture _

Koffi Amessou Adaba est enseignant et chercheur en sociologie politique qui a éffectué des travaux sur la démocratisation des institutions au Togo et sur la séparation des pouvoirs entre le président, le parlement et la justice. Il explique à The Conversation Africa les motivations derrière ce changement constitutionnel et la manière dont il affectera l’équilibre des pouvoirs et le processus démocratique.

Qu’est-ce qui a changé dans la Constitution togolaise?

En analysant la révision constitutionnelle actuelle, il y a eu tellement de changements que l’on n’aurait pas tort de parler en lieu et place d’une révision constitutionnelle d’un changement de la Constitution togolaise.

Fondamentalement, la nouvelle proposition de révision de la Constitution met en place un régime parlementaire qui favorise une grande collaboration entre l’exécutif et le législatif. A la tête de l’exécutif, il y a deux chefs : un président de la République (chef de l’État), qui dispose des pouvoirs symboliques et un président du Conseil des ministres (chef du gouvernement), qui conduit la politique de la nation et qui est le chef de la majorité parlementaire. Les institutions de la République font l’objet d’une profonde réforme. Il en résulte aussi une refonte de la justice ordinaire. Elle est, désormais, placée sous l’autorité d’une Cour de cassation. La Cour suprême est supprimée à cet effet.

Au niveau des institutions indépendantes, l’ancienne Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) devient la Haute autorité de régulation de la communication écrite, audiovisuelle et numérique qui intègre la régulation des plateformes en ligne et des réseaux sociaux. Enfin, en lieu et place du médiateur de la République, la nouvelle révision évoque le Protecteur du citoyen dont la vocation sera de protéger les citoyens contre les abus de l’administration publique.

En termes de forme, la Constitution révisée propose 100 articles au lieu de 159 articles pour l’actuelle Constitution.

Quelles sont les principales raisons derrière la réforme constitutionnelle ?

Il faut noter qu’en trois décennies, la Constitution est en train de faire l’objet de sa quatrième modification (2002, 2007, 2019 et 2024). C’est la deuxième fois que la sixième législature procède à une modification constitutionnelle (de 2018 à 2024).

Un manifestant tient une banderole portant l’inscription «Ne touchez pas à notre Constitution» le 21 novembre 2014 à Lomé, alors que l’opposition appelait à une manifestation demandant une réforme politique visant à limiter le président à deux mandats de cinq ans maximum.
Photo: EMILE KOUTON/AFP via Getty Images

Toutes les raisons avancées pour justifier cette nouvelle modification auraient pour fondement de renforcer la démocratie, d’assurer une meilleure protection des droits et libertés des citoyens, et de rendre les institutions plus efficaces et plus représentatives. L’équilibre des pouvoirs instauré par l’ancienne Constitution via le régime semi-présidentiel aurait atteint ses limites. La nouvelle reforme serait aussi fondée sur la recherche de la stabilité gouvernementale à travers l’instauration du régime parlementaire.

Enfin, la nouvelle reforme constitutionnelle viserait l’instauration d’un régime politique favorisant une plus grande implication des citoyens dans la vie politique et dans les processus décisionnels. Ce sont quelques mobiles évoqués dans l’exposé des motifs de la révision constitutionnelle par les députés initiateurs de la proposition.

Ces arguments vous paraissent-ils légitimes ?

Pour tout acteur démocratique, de telles raisons, a priori, ne peuvent qu’être légitimes. En dehors de ces arguments, on pourrait songer aux coûts des élections en général et la nécessité de réduire certaines d’entre elles. Mais, il serait encore intéressant de faire un bilan de la mise en application de l’ancienne Constitution avant toute proposition d’une nouvelle révision. Une telle démarche permettra de faire le point sur les avantages et surtout les difficultés de mise en oeuvre de l’ancienne Constitution. La modification de 2019, par exemple, était faite pour répondre à la crise politique de 2017 : la fameuse question de limitation de mandat présidentiel. Les Togolais ont-ils déjà vu les fruits de cette Constitution révisée en 2019 pour pouvoir espérer les fruits d’une nouvelle Constitution ?

Comment les changements constitutionnels impactent-ils l’équilibre des pouvoirs au Togo ?

Avec la nouvelle révision constitutionnelle, le Togo instaure un système de séparation souple des pouvoirs. Avec l’ancienne Constitution, le Togo était dans un régime où chaque pouvoir était désigné directement par le peuple. Le législatif peut mettre fin à l’exécutif et inversement pour des raisons politiques. C’était un régime qui n’était ni présidentiel, ni parlementaire.

Avec la nouvelle révision constitutionnelle, on se retrouve avec une parfaite collaboration entre le législatif et l’exécutif en matière législative. Mais chaque pouvoir peut mettre fin au mandat de l’autre. Le pouvoir exécutif est incarné désormais par deux institutions: le président du Conseil des ministres et le président de la République. Ce dernier ne gouverne pas. Mais leur source de légitimité demeure le parlement. Aucun acte du président de la République n’est valable s’il n’est pas contresigné par le président du Conseil des ministres.

Par rapport au pouvoir judiciaire, les juges de la Cour constitutionnelle sont nommés par le président du Conseil des ministres, par le parlement et par le Conseil supérieur de la magistrature à raison d’un quota de tiers pour chaque institution. Ils sont nommés pour un mandat de 9 ans non renouvelable et sont garants du respect de la Constitution par le législatif et l’exécutif.

N’y a-t-il pas un risque de conflit à terme entre les deux têtes de l’exécutif, le président et le chef du gouvernement ?

En fait, il n’existe pas de régimes parfaits. En l’espèce, je ne pense pas vraiment qu’il existerait un risque de conflit entre les deux présidents de l’exécutif. En réalité, le président de la République n’a aucun pouvoir, si et seulement si, chacun d’eux respecte le rôle que la nouvelle Constitution lui donne. De plus, même au niveau de leur élection, le président de la République peut provenir de n’importe quel parti politique, plus petit soit il, pourvu qu’il soit élu par la majorité parlementaire.

Toutefois, en matière de relation de pouvoir, peu importe la taille des ressources politiques dont dispose un acteur politique, le risque zéro n’existe pas.

Comment ces changements constitutionnels affectent-ils le processus démocratique au Togo ?

D’abord, le Togo, depuis son indépendance, a formellement proclamé son attachement à la démocratie à travers toutes ses Constitutions.

Avec la nouvelle révision en cours (le président Faure Gnassingbé a renvoyé le texte devant l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture),ce qui change fondamentalement reste le déplacement des enjeux portés sur l’élection présidentielle vers les éléctions législatives.

Désormais, les législatives pourront susciter plus d’engouement chez les Togolais que l’élection présidentielle de la Constitution actuelle. De plus, le multipartisme pourrait aussi subir des modifications par la collaboration des petits partis politiques. Ces derniers pourront évoluer vers de grands ensembles partisans. Cependant, le fait que le président du Conseil – qui va pratiquement jouer les mêmes rôles que jouait le président de la République dans l’actuelle Constitution – soit élu non pas directement par le peuple togolais mais par ses représentants laisse entrevoir une diminution du pouvoir du peuple au profit de ses représentants.

Est-ce que le président actuel pourrait devenir président du Conseil et rester au pouvoir indéfiniment tant que son parti reste majoritaire?

C’est l’hypothèse la plus plausible, à mon avis. J’imagine mal Faure Gnassingbé actuellement, devenir le “président de la Republique” sous la nouvelle Constitution qui propose deux présidents: le président du Conseil et le président de la République. Ce dernier n’a aucun pouvoir et n’a pas besoin d’être de la majorité parlementaire. Le président du Conseil garde pratiquement tous les pouvoirs que disposait le président sous l’ancienne Constitution. Et je ne pense pas que le président Faure serait encore président de la République sous la nouvelle Constitution. Il chercherait tout simplement à être le président du Conseil.

Ceci lui permettra d’échapper à plusieurs critiques et lui donnera plusieurs avantages : les querelles de limitation de mandat présidentiel qui pèseront sur lui en 2030 disparaîtront; il pourrait rester au pouvoir à vie en tant président du Conseil tant que son parti sera majoritaire.

Parler de “coup d’État constitutionnel” me semble discutable dans la mesure où le parlement togolais n’est pas à sa première modification constitutionnelle. Mais si l’opposition considère la révision en cours comme un changement de Constitution alors elle n’aurait pas tort de parler de “coup d’État constitutionnel” à cause de l’absence du référendum.

 

Reference

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